jeudi 30 juillet 2020

Les joies du corps


Son poil si lustré est devenu terne, ses yeux si coquins le sont beaucoup moins ; il est devenu incontinent, boiteux, cagneux, chiasseux et chassieux a les yeux ; c’est qu’on dirait un petit vieux et s’il ne sait pas ratatiné, voûté, il ne se tient guère mieux. En moins de vingt ans il est devenu ce que l’on devient en deux, trois, fois plus de temps. Qu’elle est la moyenne d’âge des chiens qu’on abandonne ? Il n’y a pas de maison de retraite pour eux. J’aimerais lui passer mon livre et lui dire : tiens ! Passe à la lecture maintenant que tu ne peux plus courir, et ce n’est pas dans le but de l’instruire, car qu’est-ce qu’on s’en fiche de mourir plus pauvre ou plus riche d’esprit, si ce n’est qu’aux réjouissances du corps qui failli celles de l’esprit qui demeure n’ont désormais plus rien à envier. Pour les bêtes ! Qui ne peuvent jouir que de leur corps, l’éternelle jeunesse, tandis que nous autres pouvons vieillir. C’est pourquoi elle m’apparaît dans toute sa cruauté la vieillesse qui le fait boiter. Dire qu’il a quatre pattes pour marcher. Son impuissance est plus notoire. Sa défection plus grande. La trahison du corps plus manifeste. Je me rappelle quand il courait. Ses plaisirs étaient les plaisirs du corps. Ses joies étaient les joies du corps. Je l’enviais. Qui ne l’aurait pas envié ? Qui ne l’aurait pas envié n’a jamais su ce qu’est avoir un corps dispo et frais, qui lui impose tout mais aussi lui dispense tout. Et maintenant je le plains car il n’a plus rien ou plutôt ce corps comme j’ai le mien. Sauf que je me promène un livre à la main, tandis que c’est à grande peine que derrière moi mon chien se traîne.

1 commentaire: