Les amis d'Henry

Je pense aux amis d'Henry, et à ce qu'il m'en disait. Chose étonnante, quand on sait qu'Henry n'a pas d'amis. Mais à l'en croire, Henry a des amis. Enfin, si l'on veut. Pas un qui ne l'ait oublié en ce jour férié. Tous retournés à leurs familles, à leur petite vie tranquille et rangée. Mes ennemis, eux ne m'oublient pas, disait Henry, qui recevait sans cesse des coups de fil anonymes. Ses amis étaient tous entrés dans une vie confortable et propice autant à l'ennui qu'à l'oubli, toujours selon Henry. Quant à ses ennemis qui lui menaient la vie dure, il y avait fort à parier, pensait Henry, que leur vie ne soit pas douce. Cette étrange paradoxe fascinait Henry. Un de ses ennemis était mort. Quand il apprit sa mort, et cela fut sa première surprise, il en fut touché autant, sinon plus, que s'il se fut agit de son meilleur ami, et trouva même à cette mort quelque chose d'héroïque, il s'était tué en moto. Ses ennemis connaissaient des morts violentes. Un ennemi de fraîche date, songeait Henry avec peine, n'allait pas tarder lui aussi à mourir, alors qu'il n'avait pas encore la cinquantaine. Et son frère qui s'était toujours révéler être son pire ennemi avait été dernièrement fortement touché dans sa chair. Il aurait pu bâtir autour de ses ennemis toute une légende, tandis que ses amis étaient des êtres beaucoup moins romanesques. Leur haine était farouche -- bien évidemment Henry parlait encore de ses ennemis -- quand ses amis ne semblaient lui témoigner qu'une affection bien molle qui s'accommodait de tout. Mais ils ne prendraient jamais parti pour lui contre ses ennemis. Il avait pu encore le vérifier, comme de quel côté ils s'étaient rangés. Les amis de Henry se rangeaient toujours du côté du plus fort. Et Henry, est t-il utile de le rajouter, n'était jamais le plus fort. L'ennemi vivait le plus souvent à couvert, quand l'ami se montrait toujours à lui ; mais quand l'ennemi soudain apparaissait, l'ami aussitôt disparaissait. D'ailleurs, ses amis lui disaient qu'on ne peut jamais compter sur ses amis. On aurait dit, soit qu'ils s'en plaignaient à lui, soit qu'ils voulussent le prévenir de leur lâcheté commune à tous, car il était des leurs, n'est-ce pas, qu'il les rassura, c'était un ami. Chose étonnante, quand on sait qu'Henry n'a pas d'amis. Mais à l'en croire, Henry a des amis.