jeudi 23 mai 2019

Le mépris de classe


Ne croyez pas que le mépris de classe est de l'histoire ancienne, révolue, du temps des cocos, et on ne parle plus des cocos, alors pourquoi l'on parlerait encore de lutte des classes et encore moins de mépris de classe ; et pourtant c'est la chose la plus répandue au monde, qu'on peut trouver dans tous les domaines, dans tous les secteurs d'activités, comme dans tous les milieux et à tous les niveaux, ce n'est l'apanage de personne, c'est le bien le mieux partagé. Quand je pense au mépris de classe il y a tout de suite des tas d'exemples qui viennent se bousculer dans ma tête, à tel point que je ne sais pas par où commencer et ce n'est pas que j'en souffre plus qu'un autre, enfin, cela reste à vérifier, il faudrait que d'autres à leur tour m'en fasse l'exposé et je suis sûr que les exemples ne viendraient pas non plus à leur manquer. Je n'entends pas non plus faire pleurer dans les chaumières en n'en parlant à titre personnel, mais plutôt rire ou légèrement sourire non sans un léger mépris en considération de ma classe inférieure. Bien entendu, personne ne se permet plus d'exprimer ouvertement un mépris de classe et c'est pourquoi il est devenu d'autant plus risible dans sa forme d'expression parce qu'il continue bien sûr, comme dit antérieurement, de s'exprimer, mais à couvert, comme avec humour, même de la part de gens qui en sont par ailleurs totalement dépourvue, c'est-à-dire des gens les plus sérieux, les gens les plus sérieux sont ceux qui par ailleurs ont le plus de mépris de classe. Mais fini de tergiverser et affichons au grand jour ce qui semble remonter à la nuit des temps et être tombé aux oubliettes de l'histoire ancienne.

Quand j'étais petit je n'étais pas grand et je montrais mon cul à tous les passants, mais ce n'était pas encore du mépris de classe. Tout juste de l'impudeur, de l'innocence. Cette innocence de l'âge qui fait qu'on se mélange garçons et filles et aussi enfants de toutes les familles et conditions. Dans mes amis d'enfance il y en a qui sont devenus quelqu'un et je ne dirais pas qui, tandis que moi je suis devenu personne, et leur reprocher de ne pas vouloir me voir reviendrait à leur reprocher de ne vouloir voir personne, n'y voyez donc là pas plus que moi aucun mépris de classe mais de personne. Puis, j'ai grandi et j'ai commencé à avoir honte de mes parents : t'as honte de nous, disait mon père se retournant sur moi comme on peut se retourner sur sa honte pour la gifler, comme on peut se retourner sur son ombre pour la retrouver à chaque fois derrière son dos, et c'est comme si il me retrouvait à chaque fois derrière son dos, moi son ombre, moi sa honte ; c'est qu'il n'avait pas tort le paternel, il y avait des choses qui commençaient à me faire honte et que je commençais aussi à ne pas exprimer ouvertement, dont je n'aurais pu encore dire que c'était du mépris de classe, mais le petit morveux que j'étais ressentait bien un certain mépris de classe pour rien de moins que la classe bourgeoise qui était pourtant la sienne, enfin celle de ses parents car lui ne serait jamais directeur d'école déchargé de classe comme le paternel, mais bien un moins que rien comme disait le paternel et le paternel n'avait pas tort : c'était le mépris de classe d'un moins que rien pour la classe bourgeoise.

Après il a bien fallu me marier. Un mariage grandiose pour un moins que rien. A Granada, à l'Alhambra, là où l'on marie les princes et les rois. C'était de toute évidence pas un mariage pour moi, mais pour la fille d'un colonel issue d'une des grandes familles de Granada avec des origines aristocratiques, et qui plus est médecin de profession, tandis que j'allais encore pointer au chômage. J'étais son passeport pour la France. Je me rappelle encore son père le colonel qui m'avait amené avec lui à une partie de chasse, un homme très sensible disait sa fille, comme j'ai pu le vérifier : les oiseaux qu'il tuait ou plutôt qu'il n'avait pas complètement tué il me demandait à moi de les achever, c'est qu'il était trop sensible et supposait qu'à mon niveau on ne l'était pas tant que ça ; il demandait donc à la fois à son futur gendre et à un grossier personnage d'accomplir la basse besogne. Le mépris de classe n'a pas de limite, mais alors même qu'on croit avoir franchi des barrières on ne les a pas encore franchi et ne les franchira jamais. Elle finira par divorcer de son moins que rien et par se marier à un médecin français, ce qui est tout à fait normal et légitime. Maintenant je me rappelle encore qu'il y avait un certain Rafa parmi ses connaissances qui finira par se marier avec sa meilleure amie d'enfance. Rafa étudiant en médecine ne parlait que de football, mais quand Rafa devint dentiste il se mit au golf, mais je n'eus pas l'occasion de parler golf avec Rafa comme j'avais jadis parlé football parce que quand je le croisais tandis que je le voyais moi, lui il ne voyait personne, j'étais à nouveau devenu personne. Mais je vous vois venir : n'allez pas encore appelez ça du mépris de classe, c'était quand même le meilleur ami de mon ex qui disait de lui ce qu'elle disait de son père : Rafa c'est un garçon très sensible.


Mais tout ça c'est du passé et on ne va pas revenir sur le passé ; par contre le mépris de classe, comme dit antérieurement, c'est toujours d'actualité. En Espagne toujours, on aurait dit de moi un vrai petit espagnol tant je parlais la langue couramment et ma peau était tannée par le soleil d'Andalousie. Allons y pour mon dernier souvenir. .Souvenir souvenir. Je me trouvais au port de Motril, pas le port de pêche, non, le port de plaisance près du club nautique, la classe quoi. Il y avait là, je le voyais bien, un yacht qui avait des ennuis, je m'approchais donc. Une starlette américaine, plus toute jeune, son capitaine lui l'était, s'adressa à moi en anglais, certainement un anglais hollywoodien, pour me dire qu'ils ne pouvaient pas partir, elle et son capitaine, parce que quelque chose s'était entouré à l'hélice du moteur et qu'ils attendaient depuis des heures l'arrivée du scaphandrier du port, mais que si je voulais bien elle me donnerait ce couteau qu'elle tenait à la main. J'étais bien proportionné et torse nu, sûrement m'avait t-'elle pris pour tarzan, et je ne voulus pas la décevoir. Je sautais donc à l'eau le couteau entre les dents et à mes risques et périls, et, restant autant de temps que je le pouvais sous l'eau, défit le fil de pêche qui s'était enroulé à l'hélice et refit bientôt surface victorieux, toujours le couteau entre les dents. La starlette me remercia chaleureusement et voulut me payer de mes services comme l'on aurait payé un petit espagnol qui crève la faim sur les docks, il y avait méprise (une autre forme de mépris sans doute ou de cacher le mépris de classe) mais c'est vrai que je n'avais pas non plus l'apparence d'un riche américain sans quoi elle ne m'aurait même pas demandé de plonger sous la coque profonde du yacht.

Mais c'est de l'histoire ancienne tout ça. Actuellement, certes, je ne joue pas au golf, mais aux échecs, c'est un jeu noble que les échecs. C'est que j'ai toujours garder ce mépris de classe en moi, car personne n'en est indemne et rappelez vous que je suis personne, enfin, un moins que rien, mais qui joue aux échecs. Les échecs non plus ne sont pas épargnés par le mépris de classe. Tu veux jouer avec moi. D'accord mais pas plus de 5 minutes alors, c'est ce que se voit généreusement offrir les débutants dans les clubs d'échecs par les joueurs confirmés dudit club : une partie de 5 minutes ; il faut savoir qu'une partie d'échecs peut durer des heures et des heures. Heureusement, il y a des compétitions et les joueurs les plus forts se voient parfois obligés par l'appariement (on les a appareillé à un joueur plus faible, quelle disgrâce!) à jouer des heures et des heures contre un joueur plus faible et si par hasard ce joueur plus faible leur demande avec une petite voix la nulle, en considération d'un jeu égal, ils lui répondent gentiment : on va encore jouer un petit peu et la partie peut alors continuer encore des heures comme ça, jusqu'à ce qu'ils la gagnent, ne tolérant pas de faire nulle contre un joueur plus faible, classé au dessous d'eux. Je joue aussi des parties amicales. Un ami qui vient à la maison de temps en temps joué avec moi. Il me dit que lui quand il a une pièce en moins il ne continue pas à jouer tandis que moi … je me demande si cet ami ne se plaindrait pas lui aussi du mépris de classe.

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