Ne croyez
pas que le mépris de classe est de l'histoire ancienne, révolue, du
temps des cocos, et on ne parle plus des cocos, alors pourquoi l'on
parlerait encore de lutte des classes et encore moins de mépris de
classe ; et pourtant c'est la chose la plus répandue au monde,
qu'on peut trouver dans tous les domaines, dans tous les secteurs
d'activités, comme dans tous les milieux et à tous les niveaux, ce
n'est l'apanage de personne, c'est le bien le mieux partagé. Quand
je pense au mépris de classe il y a tout de suite des tas d'exemples
qui viennent se bousculer dans ma tête, à tel point que je ne sais
pas par où commencer et ce n'est pas que j'en souffre plus qu'un
autre, enfin, cela reste à vérifier, il faudrait que d'autres à
leur tour m'en fasse l'exposé et je suis sûr que les exemples ne
viendraient pas non plus à leur manquer. Je n'entends pas non plus
faire pleurer dans les chaumières en n'en parlant à titre personnel,
mais plutôt rire ou légèrement sourire non sans un léger mépris
en considération de ma classe inférieure. Bien entendu, personne ne
se permet plus d'exprimer ouvertement un mépris de classe et c'est
pourquoi il est devenu d'autant plus risible dans sa forme
d'expression parce qu'il continue bien sûr, comme dit
antérieurement, de s'exprimer, mais à couvert, comme avec humour,
même de la part de gens qui en sont par ailleurs totalement
dépourvue, c'est-à-dire des gens les plus sérieux, les gens les
plus sérieux sont ceux qui par ailleurs ont le plus de mépris de
classe. Mais fini de tergiverser et affichons au grand jour ce qui
semble remonter à la nuit des temps et être tombé aux oubliettes
de l'histoire ancienne.
Quand
j'étais petit je n'étais pas grand et je montrais mon cul à tous
les passants, mais ce n'était pas encore du mépris de classe.
Tout juste de l'impudeur, de l'innocence. Cette innocence de l'âge
qui fait qu'on se mélange garçons et filles et aussi enfants de
toutes les familles et conditions. Dans mes amis d'enfance il y en a
qui sont devenus quelqu'un et je ne dirais pas qui, tandis que moi je
suis devenu personne, et leur reprocher de ne pas vouloir me voir
reviendrait à leur reprocher de ne vouloir voir personne, n'y voyez
donc là pas plus que moi aucun mépris de classe mais de personne.
Puis, j'ai grandi et j'ai commencé à avoir honte de mes parents :
t'as honte de nous, disait mon père se
retournant sur moi comme on peut se retourner sur sa honte pour la
gifler, comme on peut se retourner sur son ombre pour la retrouver à
chaque fois derrière son dos, et c'est comme si il me retrouvait à
chaque fois derrière son dos, moi son ombre, moi sa honte ;
c'est qu'il n'avait pas tort le paternel, il y avait des choses qui
commençaient à me faire honte et que je commençais aussi à ne pas
exprimer ouvertement, dont je n'aurais pu encore dire que c'était du
mépris de classe, mais le petit morveux que j'étais ressentait bien
un certain mépris de classe pour rien de moins que la classe
bourgeoise qui était pourtant la sienne, enfin celle de ses parents
car lui ne serait jamais directeur d'école déchargé de classe
comme le paternel, mais bien un moins que rien comme disait le
paternel et le paternel n'avait pas tort : c'était le mépris
de classe d'un moins que rien pour la classe bourgeoise.
Après
il a bien fallu me marier. Un mariage grandiose pour un moins que
rien. A Granada, à l'Alhambra, là où l'on marie les princes et les
rois. C'était de toute évidence pas un mariage pour moi, mais pour
la fille d'un colonel issue d'une des grandes familles de Granada
avec des origines aristocratiques, et qui plus est médecin de
profession, tandis que j'allais encore pointer au chômage. J'étais
son passeport pour la France. Je me rappelle encore son père le
colonel qui m'avait amené avec lui à une partie de chasse, un homme
très sensible disait sa fille, comme j'ai pu le vérifier : les
oiseaux qu'il tuait ou plutôt qu'il n'avait pas complètement tué
il me demandait à moi de les achever, c'est qu'il était trop
sensible et supposait qu'à mon niveau on ne l'était pas tant que
ça ; il demandait donc à la fois à son futur gendre et à un grossier personnage d'accomplir la basse besogne. Le
mépris de classe n'a pas de limite, mais alors même qu'on croit
avoir franchi des barrières on ne les a pas encore franchi et ne les
franchira jamais. Elle finira par divorcer de son moins que rien et
par se marier à un médecin français, ce qui est tout à fait
normal et légitime. Maintenant je me rappelle encore qu'il y avait
un certain Rafa parmi ses connaissances qui finira par se marier
avec sa meilleure amie d'enfance. Rafa étudiant en médecine ne
parlait que de football, mais quand Rafa devint dentiste il se mit au
golf, mais je n'eus pas l'occasion de parler golf avec Rafa comme
j'avais jadis parlé football parce que quand je le croisais tandis
que je le voyais moi, lui il ne voyait personne, j'étais à nouveau
devenu personne. Mais je vous vois venir : n'allez pas encore
appelez ça du mépris de classe, c'était quand même le meilleur
ami de mon ex qui disait de lui ce qu'elle disait de son père :
Rafa c'est un garçon très sensible.
Mais
tout ça c'est du passé et on ne va pas revenir sur le passé ;
par contre le mépris de classe, comme dit antérieurement, c'est
toujours d'actualité. En Espagne toujours, on aurait dit de moi un
vrai petit espagnol tant je parlais la langue couramment et ma peau
était tannée par le soleil d'Andalousie. Allons y pour mon dernier
souvenir. .Souvenir souvenir. Je
me trouvais au port de Motril, pas le port de pêche, non, le port de
plaisance près du club nautique, la classe quoi. Il y avait là, je
le voyais bien, un yacht qui avait des ennuis, je m'approchais donc.
Une starlette américaine, plus toute jeune, son capitaine lui
l'était, s'adressa à moi en anglais, certainement un anglais
hollywoodien, pour me dire qu'ils ne pouvaient pas partir, elle et
son capitaine, parce que quelque chose s'était entouré à l'hélice
du moteur et qu'ils attendaient depuis des heures l'arrivée du
scaphandrier du port, mais que si je voulais bien elle me donnerait
ce couteau qu'elle tenait à la main. J'étais bien proportionné et
torse nu, sûrement m'avait t-'elle pris pour tarzan, et je ne voulus
pas la décevoir. Je sautais donc à l'eau le couteau entre les dents
et à mes risques et périls, et, restant autant de temps que je le
pouvais sous l'eau, défit le fil de pêche qui s'était enroulé à
l'hélice et refit bientôt surface victorieux, toujours le couteau
entre les dents. La starlette me remercia chaleureusement et voulut
me payer de mes services comme l'on aurait payé un petit espagnol
qui crève la faim sur les docks, il y avait méprise (une autre
forme de mépris sans doute ou de cacher le mépris de classe) mais
c'est vrai que je n'avais pas non plus l'apparence d'un riche
américain sans quoi elle ne m'aurait même pas demandé de plonger
sous la coque profonde du yacht.
Mais
c'est de l'histoire ancienne tout ça. Actuellement, certes, je ne
joue pas au golf, mais aux échecs, c'est un jeu noble que les
échecs. C'est que j'ai toujours garder ce mépris de classe en moi,
car personne n'en est indemne et rappelez vous que je suis personne,
enfin, un moins que rien, mais qui joue aux échecs. Les échecs non
plus ne sont pas épargnés par le mépris de classe. Tu
veux jouer avec moi. D'accord mais pas plus de 5 minutes alors,
c'est ce que se voit généreusement offrir les débutants dans les
clubs d'échecs par les joueurs confirmés dudit club : une
partie de 5 minutes ; il faut savoir qu'une partie d'échecs
peut durer des heures et des heures. Heureusement, il y a des
compétitions et les joueurs les plus forts se voient parfois obligés
par l'appariement (on les a appareillé à un joueur plus faible,
quelle disgrâce!) à jouer des heures et des heures contre un joueur
plus faible et si par hasard ce joueur plus faible leur demande avec
une petite voix la nulle, en considération d'un jeu égal, ils lui
répondent gentiment : on va encore jouer un petit peu
et la partie peut alors continuer encore des heures comme ça, jusqu'à ce
qu'ils la gagnent, ne tolérant pas de faire nulle contre un joueur
plus faible, classé au dessous d'eux. Je joue aussi des parties
amicales. Un ami qui vient à la maison de temps en temps joué avec
moi. Il me dit que lui quand il a une pièce en moins il ne continue
pas à jouer tandis que moi … je me demande si cet ami ne se
plaindrait pas lui aussi du mépris de classe.
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