Il avait
trouvé les bancs très seuls . Il y avait d'abord fait asseoir sa
femme, puis s'était assis à ses côtés. C'était une femme malade
et qui n'était plus toute jeune. Certainement pas la même à qui
des années plus tôt il avait refusé tous les bancs publics de
Barcelone. Comme il s'en souvenait maintenant qu'ils étaient assis
ensemble sur ce banc. Elle en avait eu marre de marcher la pauvre,
depuis la gare jusqu'à l'hôtel, et lui, ne trouvant aucun banc
assez bien pour elle, en appelait toujours au suivant. Sans doute lui
tardait t-il aussi de le rejoindre ce satané et fort éloigné
hôtel, plutôt que de s'asseoir sur un banc, après une bonne
douche... Son imagination l'entraînait bien au-delà des bancs
publics qui semblaient se dresser sur leur passage et qu'elle
survolait comme autant d'obstacles à leur bonheur conjugal.
Il faut dire
qu'en Espagne les amoureux ne se bécotaient pas sur les bancs
publics sans encourir le risque de prendre une amende. Désolé
Georges si ta chanson ne vaut pas pour tous les pays et pour tous les
temps, car il se référait aux temps du franquisme et du
post-franquisme, enfin, jusqu'à la Movida. Il n'en reste pas moins
qu'il avait rarement surpris sur des bancs publics en Espagne comme
ailleurs des jeunes s'embrasser. Pour être tout à fait franc, il y
avait plus souvent vu des clochards ou des vieillards et comme ils
n'appartenaient à aucune de ces deux catégories là, il se disait
qu'ils pouvaient encore attendre un peu avant de s'asseoir sur un
banc. Et il s'était en effet passé quelques années jusqu'à ce
jour où il avait d'abord fait asseoir sa femme, puis c'était assis
à ses côtés, sur un banc public. C'est qu'il avait trouvé les
bancs très seuls.
Cela peut
paraître absurde qu'il est mis tout ce temps pour se rendre compte
que les bancs étaient très seuls ; qu'ils étaient là comme
s'ils eurent attendu désespéramment le passant pour qu'il s'y
assied. Cela peut paraître absurde que la solitude des bancs l'ait
frappé au point qu'il consentit à s'y asseoir, lui et sa femme, lui
après sa femme. Il donnerait fort à parier d'ailleurs que gamin il
ne ce serait même pas aperçu de leur présence, pas plus que de
celle de ceux qui y prenaient place, souvent des vieux, pensait t-il.
Les bancs par contre eux ne changeaient pas avec le temps. On
n'aurait dit qu'ils ne vieillissaient pas, ou plutôt, il y avait
toujours ces vieux bancs en bois, qu'on avait repeint sans doute à
l'occasion.
Pour tout
dire, jamais les bancs ne lui avaient parut jeunes. Et encore moins
gais. Ils avaient plutôt l'air triste tous ces bancs et n'invitaient
pas à qu'on s'y assied. Souvent il les trouvait, depuis qu'ils se
faisaient de plus en plus présent à ses yeux, à des endroits si
improbables, qu'il se demandait qui viendrait bien s'y asseoir.
C'était un peu comme de voir un arbre qui avait poussé au bord d'un
précipice. Tant et si bien qu'au lieu de voir le paysage, le
panorama qui s'offrait à ses yeux au bord de chaque banc, au bord de
chaque banc il voyait un précipice qui était le précipice de
l'âge. La vérité c'est qu'il n'avait jamais aimé les bancs et
qu'il vivait ce jour comme celui d'une capitulation.
Et, s'il
avait à ce jour capitulé, c'était pour sa femme qui avait tant
attendu qu'il s'assied à ses côtés sur un banc public. Il lui
donna alors un baiser très tendre tout en se remémorant la chanson
de Georges : Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs
publics/Bancs publics, bancs publics/ En s'foutant pas mal du regard
oblique des passants honnêtes/Les amoureux qui s'...
et, tout en se remémorant aussi, les bancs publics de Barcelone.
Mais, mon dieu ! qu'ils étaient seul sur leur banc. Il se leva
brusquement. Il la leva lentement. Et, à petits pas, ils s'en
retournèrent chez eux, comme l'auraient fait deux petits vieux.
Renvoyant les bancs à leur solitude.
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