samedi 18 mai 2019

La solitude des bancs


Il avait trouvé les bancs très seuls . Il y avait d'abord fait asseoir sa femme, puis s'était assis à ses côtés. C'était une femme malade et qui n'était plus toute jeune. Certainement pas la même à qui des années plus tôt il avait refusé tous les bancs publics de Barcelone. Comme il s'en souvenait maintenant qu'ils étaient assis ensemble sur ce banc. Elle en avait eu marre de marcher la pauvre, depuis la gare jusqu'à l'hôtel, et lui, ne trouvant aucun banc assez bien pour elle, en appelait toujours au suivant. Sans doute lui tardait t-il aussi de le rejoindre ce satané et fort éloigné hôtel, plutôt que de s'asseoir sur un banc, après une bonne douche... Son imagination l'entraînait bien au-delà des bancs publics qui semblaient se dresser sur leur passage et qu'elle survolait comme autant d'obstacles à leur bonheur conjugal.

Il faut dire qu'en Espagne les amoureux ne se bécotaient pas sur les bancs publics sans encourir le risque de prendre une amende. Désolé Georges si ta chanson ne vaut pas pour tous les pays et pour tous les temps, car il se référait aux temps du franquisme et du post-franquisme, enfin, jusqu'à la Movida. Il n'en reste pas moins qu'il avait rarement surpris sur des bancs publics en Espagne comme ailleurs des jeunes s'embrasser. Pour être tout à fait franc, il y avait plus souvent vu des clochards ou des vieillards et comme ils n'appartenaient à aucune de ces deux catégories là, il se disait qu'ils pouvaient encore attendre un peu avant de s'asseoir sur un banc. Et il s'était en effet passé quelques années jusqu'à ce jour où il avait d'abord fait asseoir sa femme, puis c'était assis à ses côtés, sur un banc public. C'est qu'il avait trouvé les bancs très seuls.

Cela peut paraître absurde qu'il est mis tout ce temps pour se rendre compte que les bancs étaient très seuls ; qu'ils étaient là comme s'ils eurent attendu désespéramment le passant pour qu'il s'y assied. Cela peut paraître absurde que la solitude des bancs l'ait frappé au point qu'il consentit à s'y asseoir, lui et sa femme, lui après sa femme. Il donnerait fort à parier d'ailleurs que gamin il ne ce serait même pas aperçu de leur présence, pas plus que de celle de ceux qui y prenaient place, souvent des vieux, pensait t-il. Les bancs par contre eux ne changeaient pas avec le temps. On n'aurait dit qu'ils ne vieillissaient pas, ou plutôt, il y avait toujours ces vieux bancs en bois, qu'on avait repeint sans doute à l'occasion.

Pour tout dire, jamais les bancs ne lui avaient parut jeunes. Et encore moins gais. Ils avaient plutôt l'air triste tous ces bancs et n'invitaient pas à qu'on s'y assied. Souvent il les trouvait, depuis qu'ils se faisaient de plus en plus présent à ses yeux, à des endroits si improbables, qu'il se demandait qui viendrait bien s'y asseoir. C'était un peu comme de voir un arbre qui avait poussé au bord d'un précipice. Tant et si bien qu'au lieu de voir le paysage, le panorama qui s'offrait à ses yeux au bord de chaque banc, au bord de chaque banc il voyait un précipice qui était le précipice de l'âge. La vérité c'est qu'il n'avait jamais aimé les bancs et qu'il vivait ce jour comme celui d'une capitulation.

Et, s'il avait à ce jour capitulé, c'était pour sa femme qui avait tant attendu qu'il s'assied à ses côtés sur un banc public. Il lui donna alors un baiser très tendre tout en se remémorant la chanson de Georges : Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics/Bancs publics, bancs publics/ En s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes/Les amoureux qui s'... et, tout en se remémorant aussi, les bancs publics de Barcelone. Mais, mon dieu ! qu'ils étaient seul sur leur banc. Il se leva brusquement. Il la leva lentement. Et, à petits pas, ils s'en retournèrent chez eux, comme l'auraient fait deux petits vieux. Renvoyant les bancs à leur solitude.

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