mardi 13 février 2018

Eliot ou pas Eliot


Cette histoire est authentique bien que je ne puisse affirmer que c'est moi qui l'ait écrite. D'une part parce que je crois que les histoires s'écrivent toutes seules et d'autre part parce que je ne sais pas bien qui est ce moi qui écrit des histoires.

Je dormais quand elle me réveilla cette histoire et qui pourrait constater qu'il est 4 heure du matin ne mettrait pas ma parole en doute. A 4 heure du matin je me levais donc pour écrire cette histoire avant qu'elle ne s'efface de ma mémoire comme s'efface les rêves quand on se réveille, quoique je ne sois pas sûr non plus que mon histoire appartienne à cette catégorie là.

J'appelai Eliot, mon petit chien. Je le promenais souvent sur les bords de marne sans laisse. Ce qui me valait beaucoup de remontrances. Ils n'avaient pas tort. Mais le petit chien qui vint à mon appel n'était pas Eliot. Enfin, peut-être s'appelait t-il aussi Eliot, mais je ne le reconnu pas comme étant Eliot. Eliot n'avait pas son poil long et bouclé. En tout cas, il n'y avait pas si longtemps que ça qu'il était allé au toilettage, bien que je n'ai pas non plus très bonne mémoire des dates. Cependant je regardais dans toutes les directions et à cette heure les bords de marne étaient plutôt déserts, pas d'Eliot. Qui se tenait donc maintenant, à mes côtés, bien sagement, attendant comme à l'accoutumance le petit calin qui le rassurerait sur mes intentions. Les yorks sont très craintifs. Celui là me semblait pourtant appartenir à une autre race de chiens bien que se comportant de façon semblable. Je finis donc par m'abaisser et à lui caresser le poil. Quelle ne fut pas alors ma surprise. C'était au toucher un poil court et doux et lisse qui était celui de mon petit Eliot que je touchais. Mais je continuais cependant à voir en lui, pour je ne sais quelle raison ignorée de moi, un chien qui ne lui ressemblait pas.

Peut être la brume matinale ou ce paysage de neige, si inhabituel ici en région parisienne, avec ses lueurs et ses reflets, ou une certaine confusion mentale due à une mauvaise fièvre, les changements brutaux de températures ces derniers temps auxquels je suis si sensible m'avaient donnée une sale bronchite que je ne soignais pas ou mal, à coup de dolipranes, peut-être une surdose de dolipranes, me faisait voir un autre chien à la place d'Eliot. Je lui filais donc une petite tape comme on se donne une petite tape pour se prouver qu'on est bien réveillé, qu'on ne rêve pas, et il se mit à japper. C'étaient bien les jappements du petit Eliot. Il n'y avait pas de doute là-dessus. Mais ce chien, ce petit chien n'était pas Eliot. Je ne pouvais pas en croire mes yeux.

La marne n'étant pas loin, elle s'était même rapprochée ces derniers temps, avec toutes ces pluies et cette neige pour finir. Je n'eus donc pas grande difficulté à la contempler, détachant un instant mes yeux de ce petit chien que je ne reconnaissais pas comme étant le mien pour regarder la marne qui se maintenait difficilement de l'autre côté du parapet. Comme mon petit chien elle aurait voulu l'enjamber. Je l'aidais donc à mon petit chien, comme j'avais l'habitude de le faire, en le hissant sur le parapet. Il n'en fut pas surpris. Quant à moi, Je fus d'abord étonné par mon reflet dans l'eau, mon visage n'était pas beau à voir, sûrement cette satanée crève qui ne me quittait pas, c'est à peine si je me reconnus : les traits tirés et blanc comme un navet, c'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup de lumière et que le miroir n'était pas très réfléchissant, puis on est plus celui qu'on a été, enfin l'image que j'avais gardée de moi n'était pas exactement celle que la marne me renvoyait.

C'est alors que je sentis qu'on me tapait sur l'épaule. Quelqu'un de ma connaissance. On finit tous par se connaître, par se connaître plus ou moins, tous ceux qui avons un chien. Il y en avait deux maintenant sur le parapet et l'un des deux était bien Eliot. L'autre ressemblait à Eliot. C'était un petit chien comme Eliot mais ce n'était pas Eliot. Enfin, son propriétaire me dit qu'il s'appelait aussi Eliot. Il faisait froid. Il allait encore neiger ou pleuvoir. On ne s'appesantit pas davantage. Juste le temps pour les chiens de fêter leur retrouvaille, les deux Eliot toujours content de se retrouver. Et moi donc qui avait retrouvé mon chien, mon Eliot.

Le doute, c'est bon le doute. Allez vous faire voir avec votre doute. Cela m'en a fichu une sacrée trouille que de douter un instant que mon Eliot était bien mon Eliot. Heureusement que j'ai retrouvé mes esprits ou mon Eliot ; en tout cas la certitude que c'est bien lui. Voyez son poil comme il est court et doux et lisse et son petit museau de lapin, qu'on dirait un lapin mais c'est un york, un york il ne me faut plus en douter et bien mon Eliot. Allez vous faire voir avec votre doute. Qu'il faut toujours douter, que c'est bon de douter. J'allais le perdre avec votre doute. J'allais perdre la tête aussi. On ne m'y reprendra plus à douter. Ni a raconter des histoires. Je ne suis pas homme à raconter des histoires. Tout ce que j'ai dit est authentiquement vrai. Mais je n'ai pas encore tout dit.

La veille au soir apparut sur l'écran de mon ordinateur un e-mail de l'Institut Cervantes queje reproduis texto : « ... ont le plaisir de vous invitez à la présentation du livre Retour à Séfarad, de Pierre Assouline … un roman intime et familial où l'écrivain redonne vie … à la Séfarad disparue, il partage avec nous une réflexion sur l'identité ». Je connaissais Pierre Assouline, de nom, ou plutôt son fils, peut-être son fils (encore le doute ou l'à peu près ce qui est plus grave encore), à qui j'avais donné des cours d'espagnol pour qu'il est son bac et il l'a eut et m'en a remercier. Un ascenseur (privé sans doute) entrait dans leur appartement et son fils me recevait en personne, c'était déjà un homme, quoiqu'un jeune homme qui avait besoin d'apprendre un peu plus d'espagnol. De la Séfarad disparue de son père à la disparition de mon petit chien il n'y avait qu'un pas que j'avais franchis allègrement et cette idée que l'on puisse douter de l'identité m'aurait telle fait douter de l'identité d'Eliot, qui sais. Aurait jeté en moi un certain trouble (c'est qu'il n'en faut pas beaucoup pour me troubler) quoiqu'une fois cette histoire passée ou racontée j'ai à nouveau les idées claires et mon chien Eliot sans laisse à mes côtés. Et cette fièvre qui ne veut pas non plus me quitter. Il va falloir penser au médecin, au médecin ou au psy, ou à la mort, une disparition comme une autre, ni pire ni meilleure, finit l'identité et tutti quanti.

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