Cette histoire est
authentique bien que je ne puisse affirmer que c'est moi qui l'ait
écrite. D'une part parce que je crois que les histoires s'écrivent
toutes seules et d'autre part parce que je ne sais pas bien qui est
ce moi qui écrit des histoires.
Je dormais
quand elle me réveilla cette histoire et qui pourrait constater
qu'il est 4 heure du matin ne mettrait pas ma parole en doute. A 4
heure du matin je me levais donc pour écrire cette histoire avant
qu'elle ne s'efface de ma mémoire comme s'efface les rêves quand on
se réveille, quoique je ne sois pas sûr non plus que mon histoire
appartienne à cette catégorie là.
J'appelai
Eliot, mon petit chien. Je le promenais souvent sur les bords de
marne sans laisse. Ce qui me valait beaucoup de remontrances. Ils
n'avaient pas tort. Mais le petit chien qui vint à mon appel n'était pas
Eliot. Enfin, peut-être s'appelait t-il aussi Eliot, mais je ne le
reconnu pas comme étant Eliot. Eliot n'avait pas son poil long et
bouclé. En tout cas, il n'y avait pas si longtemps que ça qu'il
était allé au toilettage, bien que je n'ai pas non plus très bonne
mémoire des dates. Cependant je regardais dans toutes les directions et à
cette heure les bords de marne étaient plutôt déserts, pas d'Eliot. Qui se
tenait donc maintenant, à mes côtés, bien sagement,
attendant comme à l'accoutumance le petit calin qui le rassurerait
sur mes intentions. Les yorks sont très craintifs. Celui là me
semblait pourtant appartenir à une autre race de chiens bien que se
comportant de façon semblable. Je finis donc par m'abaisser et à
lui caresser le poil. Quelle ne fut pas alors ma surprise. C'était
au toucher un poil court et doux et lisse qui était celui de mon
petit Eliot que je touchais. Mais je continuais cependant à voir en
lui, pour je ne sais quelle raison ignorée de moi, un chien qui ne
lui ressemblait pas.
Peut être
la brume matinale ou ce paysage de neige, si inhabituel ici en région
parisienne, avec ses lueurs et ses reflets, ou une certaine confusion
mentale due à une mauvaise fièvre, les changements brutaux de
températures ces derniers temps auxquels je suis si sensible
m'avaient donnée une sale bronchite que je ne soignais pas ou mal, à
coup de dolipranes, peut-être une surdose de dolipranes, me faisait
voir un autre chien à la place d'Eliot. Je lui filais donc une
petite tape comme on se donne une petite tape pour se prouver qu'on
est bien réveillé, qu'on ne rêve pas, et il se mit à japper.
C'étaient bien les jappements du petit Eliot. Il n'y avait pas de
doute là-dessus. Mais ce chien, ce petit chien n'était pas Eliot.
Je ne pouvais pas en croire mes yeux.
La marne
n'étant pas loin, elle s'était même rapprochée ces derniers
temps, avec toutes ces pluies et cette neige pour finir. Je n'eus
donc pas grande difficulté à la contempler, détachant un instant
mes yeux de ce petit chien que je ne reconnaissais pas comme étant
le mien pour regarder la marne qui se maintenait difficilement de l'autre côté du parapet. Comme mon
petit chien elle aurait voulu l'enjamber. Je l'aidais donc à mon petit chien, comme
j'avais l'habitude de le faire, en le hissant sur le parapet. Il n'en fut pas surpris. Quant à moi, Je fus
d'abord étonné par mon reflet dans l'eau, mon visage n'était pas
beau à voir, sûrement cette satanée crève qui ne me quittait pas,
c'est à peine si je me reconnus : les traits tirés et blanc
comme un navet, c'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup de lumière
et que le miroir n'était pas très réfléchissant, puis on est plus
celui qu'on a été, enfin l'image que j'avais gardée de moi n'était
pas exactement celle que la marne me renvoyait.
C'est alors
que je sentis qu'on me tapait sur l'épaule. Quelqu'un de ma
connaissance. On finit tous par se connaître, par se connaître plus
ou moins, tous ceux qui avons un chien. Il y en avait deux maintenant
sur le parapet et l'un des deux était bien Eliot. L'autre
ressemblait à Eliot. C'était un petit chien comme Eliot mais ce
n'était pas Eliot. Enfin, son propriétaire me dit qu'il s'appelait
aussi Eliot. Il faisait froid. Il allait encore neiger ou pleuvoir.
On ne s'appesantit pas davantage. Juste le temps pour les chiens de
fêter leur retrouvaille, les deux Eliot toujours content de se
retrouver. Et moi donc qui avait retrouvé mon chien, mon Eliot.
Le doute, c'est bon le doute. Allez vous faire voir avec votre doute. Cela m'en
a fichu une sacrée trouille que de douter un instant que mon Eliot
était bien mon Eliot. Heureusement que j'ai retrouvé mes esprits ou
mon Eliot ; en tout cas la certitude que c'est bien lui. Voyez
son poil comme il est court et doux et lisse et son petit museau de
lapin, qu'on dirait un lapin mais c'est un york, un york il ne me
faut plus en douter et bien mon Eliot. Allez vous faire voir avec
votre doute. Qu'il faut toujours douter, que c'est bon de douter.
J'allais le perdre avec votre doute. J'allais perdre la tête aussi.
On ne m'y reprendra plus à douter. Ni a raconter des histoires. Je
ne suis pas homme à raconter des histoires. Tout ce que j'ai dit est
authentiquement vrai. Mais je n'ai pas encore tout dit.
La veille au
soir apparut sur l'écran de mon ordinateur un e-mail de l'Institut
Cervantes queje reproduis texto : « ... ont le
plaisir de vous invitez à la présentation du livre Retour
à Séfarad, de Pierre
Assouline … un roman intime et familial où l'écrivain redonne vie
… à la Séfarad disparue, il partage avec nous une réflexion sur
l'identité ». Je connaissais Pierre Assouline, de nom, ou plutôt son fils, peut-être son fils (encore le
doute ou l'à peu près ce qui est plus grave encore), à qui
j'avais donné des cours d'espagnol pour qu'il est son bac et il l'a
eut et m'en a remercier. Un ascenseur (privé sans doute) entrait
dans leur appartement et son fils me recevait en personne, c'était
déjà un homme, quoiqu'un jeune homme qui avait besoin d'apprendre
un peu plus d'espagnol. De la Séfarad disparue de son père à la disparition de mon petit chien il n'y avait qu'un pas que j'avais franchis allègrement et cette idée que l'on puisse douter de l'identité m'aurait telle fait douter de l'identité d'Eliot, qui sais. Aurait jeté en moi un
certain trouble (c'est qu'il n'en faut pas
beaucoup pour me troubler) quoiqu'une fois cette histoire passée ou
racontée j'ai à nouveau les idées claires et mon chien Eliot sans
laisse à mes côtés. Et cette fièvre qui ne veut pas non
plus me quitter. Il va falloir penser au médecin, au médecin ou au psy, ou à
la mort, une disparition comme une autre, ni pire ni meilleure, finit
l'identité et tutti quanti.
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