Comment l'homme qui marchait dans ses pensées s'en vint trouver le Grand Mamitou et ce qu'il lui dit:
Tout est pourri. Que tout est pourri. Voilà ce que je dis. Voilà, Grand Mamitou, ce que disent avec moi tous ceux qui ne croient plus en rien: ni en la religion, ni en la politique, ni en l'homme, ni en la femme. Tous ceux qui avec moi ont tout perdu: et la foi, et l'espérance, et l'amour, et l'amitié.
Et l'homme qui marchait dans ses pensées commença à faire devant le Grand Mamitou l'exposé de ce qu'il pensait de l'amour et de l'amitié, mais aussi de la politique. Exposé bien long et ennuyeux, scabreux et cynique, qui pour tous ceux qui ne croient plus en rien se résume souvent à dire: que tout est pourri. Ce qui à l'avantage d'être bref, clair et précis.
On n'a cru bon alors de ne retenir que la substantifique moelle, d'un esprit de son temps, confus et borné, à force de vouloir trop contenir dans si peu d'espace libre et bien disposé.
Imaginez, disait l'homme qui marchait dans ses pensées au Grand Mamitou, qu'il n'y ait pas de Gauche ni de Droite, que tout cela soit de la foutaise, sinon une classe supérieure et une classe inférieure. La classe supérieure serait cultivée, sensible, intelligente; mais riche et puissante. Quand la classe inférieure serait vile et barbare, mais pauvre et dépendante. Faut-il la tenir dans le carcan des lois et des pratiques faites pour elle, à sa mesure, bien rigides, bien serrées; ou bien par d'autres lois, d'autres pratiques faisant montre de plus de culture, de plus de sensibilité, de plus d'intelligence, mais lui laissant, à nos risques et périls, plus de liberté de pensée et d'action? Ainsi s'interrogeait la classe supérieure sur la façon qu'elle aurait de diriger la classe inférieure, de la gouverner. De là s'ensuivraient deux courants : les conservateurs qui seraient comme leur nom l'indique ceux qui, voulant conserver leur classe, opteraient pour la première solution et les progressistes qui voulant amenés un certain progrès, une évolution (qui ne peut se faire qu'en allant de l'inférieur vers le supérieur), pencheraient pour la seconde, n'hésitant pas pour cela à mettre en danger leur propre classe. On pourrait aussi les appeler les humanistes parce qu'ils porteraient toute leur foi et toute leur espérance en l'homme. Mais y a t'il encore quelqu'un qui croit aujourd'hui en l'homme parmi tous ceux qui ne croient plus en rien: ni en la religion, ni en la politique, ni en l'homme, ni en la femme; parmi tous ceux qui ont perdu avec moi, disait l'homme qui marchait dans ses pensées, et la foi, et l'espérance, et l'amour, et l'amitié. Parmi tous ceux qui disent avec moi, surenchérissait l'homme qui marchait dans ses pensées, que tout est pourri!
Puis l'homme qui marchait dans ses pensées en vint à parler de l'amour et de l'amitié où il déploya encore plus de cynisme dans l'exposé de son jugement. L'aimable lecteur ne nous en voudra pas alors d'avoir sa pensée si courte encore raccourci.
Combien sont pris dans l'étau de leurs relations et comme cela peut durer des années alors (comme pour se dédommager d'une si grande perte de temps et d'un si grand mal) ils appellent cela l'amitié, disait l'homme qui marchait dans ses pensées.
..........(coupure)............................................................................ Il disait encore être de moins en moins acteur et de plus en plus spectateur de ces relations qui se nouent et se dénouent entre les hommes, spectateur amusé, spectateur désabusé.......(coupure)............ Il avait quitté l'arène, bientôt il quitterait les tribunes, clamait-t'il désespéré, tant ce spectacle l'affligeait par la banalité de son déroulement cousu de fil blanc, et par son dénouement si attendu et si accablant........................................(coupure).......................................... De l'amitié, de l'amour, au cinéma, dans les romans, mais dans sa vie ... dans son coeur ... dans son éternité aimante ........(coupure)...... Ils vécurent longtemps et eurent beaucoup d'enfants, disent les contes, mais sans préciser s'ils continuèrent à s'aimer.
Est-ce tout? finit par demander le Grand Mamitou. Tout est pourri! finit par dire, l'homme qui marchait dans ses pensées. Et le Grand Mamitou qui vit bien qu'avec cela il avait tout dit, prit à son tour la parole. Tout est pourri, tout est pourri, tout est ...
Je comprends bien, dit le Grand Mamitou, mais tout est aussi sacré: le pouvoir est sacré, l'amour est sacré, l'amitié est sacrée. Et on est touché par le pouvoir, comme on est touché par l'amour, comme on est touché par l'amitié, comme on est touché par la grâce. Mais pour être touché par la grâce il faut avoir la foi, il faut croire. Si les hommes de pouvoir eux-mêmes ne croient plus au pouvoir, à son caractère sacré, comment pourraient-t'ils être touché par la grâce? et s'ils ne sont plus touchés par la grâce comment pourraient-t'ils toucher ceux qui ne croient plus en eux. Qu'ils commencent eux-mêmes par croire en eux et ils verront comment ceux qui ne croient pas croiront.
Puis le Grand Mamitou se tourna vers l'homme qui marchait dans ses pensées et posa sur son épaule une main fraternelle. Tu dis ne croire ni en l'amour, ni en l'amitié; et tu t'en prends vertement et cyniquement à l'amour et à l'amitié. Mais tu ne peux pas t'en prendre à ce qui est sacré, non pas parce que c'est un sacrilège, mais parce que c'est hors de ta portée. Ceux qui s'en prennent aux églises et contre qui ont crient au sacrilège n'ont commis en réalité aucun sacrilège et ne s'en sont pris qu'à une coquille vide: c'est ce qu'est une église quand elle n'est pas habitée par la foi, c'est ce qu'est ton amour quand tu ne crois plus en l'amour, ton amitié quand tu ne crois plus en l'amitié, une coquille vide. Les politiques qui ne croient plus au caractère sacré du pouvoir l'habitent comme des bernard-l'hermite, des usurpateurs. Mais maintenant si tu veux que l'amour et l'amitié retrouvent en toi, cette coquille vide, leur place naturelle, il te faut à nouveau croire en l'amour et en l'amitié. Il faut avoir la foi pour être touché par la grâce. Ne sont touchés par la grâce de l'amour et de l'amitié que ceux qui croient en l'amour et en l'amitié. Inutile de faire tes offrandes à l'amour, à l'amitié, au pouvoir, d'en respecter les rituels si tu ne crois plus à l'amour, à l'amitié, au pouvoir, en leur caractère sacré. Ca ne marche pas, ça ne sert à rien. Les offrandes, les rituels ne sont là que pour ramener vers les hommes ce qui les dépasse, que pour leur rendre plus proche, plus accessible, le pouvoir, l'amour et l'amitié, qu'ils puissent comme le toucher, être touché par sa grâce. L'amour te mettra à genoux. Tu tomberas naturellement à genoux devant l'amour, comme touché par la grâce. Mais l'on ne peux pas faire ses prières à l'amour, priéer l'amour de nous exaucer, sans croire à l'amour.
Non, admettra l'homme qui marchait dans ses pensées, mais s'il y a bien quelque chose auquel on croit aujourd'hui, dira t'il enfin au Grand Mamitou, c'est que tout est pourri. Et ... jusqu'à preuve du contraire. La preuve du contraire c'est que tu es venu me trouver à moi, dit le Grand Mamitou et me parler, on ne peut pas attendre de réponse de celui à qui on ne parle pas. Et les gens se plaignent de ne pas avoir de réponse de Dieu, mais qui parle encore à Dieu aujourd'hui. Et les gens se plaignent de ce que leur amour ou leur ami ne leur répond pas, mais qui parle encore en son coeur aujourd'hui, car c'est comme cela que l'on parle à son amour ou à son ami, et la réponse ne peut venir que du coeur, que de son propre coeur. Et quelle réponse attendais-tu de moi, en te tournant vers moi, certainement pas que je te dise que tout est pourri. Alors je te dirai seulement à toi qui ne crois plus à rien qu'il te reste encore une chose à laquelle croire, il te reste à croire que tout n'est pas pourri. Et cette réponse que tu attendais de moi ce n'est pas de moi qu'il faut l'attendre mais de ton coeur. Je te demanderai alors à toi comme à tout un chacun de se tourner vers son propre coeur et de lui dire, voire ce qu'il répond, que tout est pourri.
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