Il y a deux Dieppe en moi. Deux Dieppe qui n'en font qu'une. Comme il y a deux femmes en moi. Deux femmes qui n'en font qu'une. Connus séparément. Mais reconnus ensemble. Juxtaposition de deux images. La Dieppe des naufrages, de la guerre, de la misère, et la Dieppe du Casino et des hôtels de bord de mer, sous celle d'aujourd'hui celle d'hier.
Je montre à la policière une photo de ma femme quand on s'est connus parce que malade d'Alzheimer elle s'est perdue. Non je ne me moque pas de vous Madame les deux sont ma femme, celle d'aujourd'hui et celle d'hier. Et les deux en une moi je vois. Superposition de deux images en moi, confondues en moi. Que la policière meurt de rage. Moi je meurs d'amour.
D'amour pour Dieppe et pour ma femme. Au-dessus des clochers et des falaises le cri des mouettes. Eternel, déchirant, comme le cri de la souffrance humaine. Serais-je seul à l'entendre aussi que le bruit de la mer ? Les deux en moi j'entends. Superposition de deux sons en moi, confondus en moi. Que la policière meurt de rage. Moi je meurs d'amour.
Ah tes yeux bleus ma femme et le bleu du ciel de Dieppe de cet été où tu nous a quittés; ce soleil de Dieppe et toi mon soleil tu nous a quittés. Comme j'ai baigné dans cette immensité bleuté de rutilante beauté qu'on appelle rétrospectivement le bonheur quand on ne voit pas la superposition des couleurs; quand pour moi le bonheur ne va pas sans le malheur, ils sont frère et sœur.
Nous sommes mon ami allés au musée ensemble où nous avons vu le malheur et le bonheur figés non pas comme des instants déterminés mais des instants d'éternité par le fait de l'art qui rend les deux d'égale beauté. Toi aussi mon ami tu avais perdu ta femme et ton cœur et ton âme pleuraient comme mon cœur et mon âme pleuraient. Nous sourions à la vie mais derrière notre sourire il y avait toute la tristesse du monde.
Du monde perdu, du monde qui se perd et se retrouve en nous en deux images qui se confondent où l'actuelle prend parfois le dessus et parfois le monde perdu. Nous avons vu la Dieppe du temps des naufrages peint sur la toile tandis que se peignait en nous et dans notre cœur et dans notre âme le naufrage de toute une vie vécue; vécue et survécue, car il faut survivre au naufrage pour vivre, et pour vivre vivre des deux images.
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