mercredi 6 avril 2016

Nouvelles de la zone interdite, revues et corrigées.

Des choses que son père ne lui avait jamais dites il allait lui raconter, lui, maintenant, quoique dans un maintenant indéfini, et comment aurait-t'il pu savoir que c'était à lui qu'il les raconterait ces histoires sur la guerre d'Algérie, non, il ne le saurait jamais et c'était mieux ainsi.

Il ne pouvait manquer de sourire à ces histoires qui sans adresse précise atteignent n'importe qui et parfois, bien que plus rarement, leur cible. Et il ne pouvait non plus s'empêcher de penser qu'il était cette cible que l'autre,lui, ne s'était sûrement pas donnée.

Non! son père, qui avait fait la guerre d'Algérie, ne lui avait jamais dit que: le cuirassier Morgani se masturbait toutes les trois nuits. Et maintenant, quoique dans un maintenant indéfini, il se demandait comment son père, à peine fiancé à celle qui serait sa mère, avait tenu si longtemps dans le djebel avec pour seule occupation jouissive de débusquer du fellagha.

Il n'en avait pas non plus ramené de trophées, pas même en collier, pas plus que Vignaud dans Le collier. Oui! il avait bien tiré lui aussi -- c'était une des rares choses qu'il savait de son père encore qu'à moitié -- sur ce lieutenant qui ne lui avait pas accordé de permission pour voir sa fiancée, mais ce n'était pas par méprise comme celle qui coûta la vie au cuirassier Hervet dans Méprise.

Il était curieux de savoir ce qu'il allait encore lui apprendre, lui, sur son père, car, bien qu'il ne le nomma pas personnellement, il n'en doutait pas, c'était de son père que lui, lui parlait maintenant, quoique dans un maintenant indéfini. Mais cela restait encore bien en dessous du peu que de son père et de la guerre d'Algérie il savait pour l'avoir entendu dire à table, quand il fallait se taire et manger sa soupe.

Allez! parle, Daniel, qu'il disait, sûr de ne pas être entendu, mais sûr aussi d'être écouté, car Daniel Zimmermann, enfin, lui, qui ignorait qui il était, et c'était mieux ainsi, lui, qui ignorait à qui il s'adressait, mais qui, touchant en lui sa cible, reprenait de plus belle son récit de la zone interdite, car, maintenant, quoique dans un maintenant indéfini, il n'en doutait pas, c'était bien dans cette zone interdite que son père ne les avait jamais laissé entrer.

Ce n'était pas à cause de son  nom, Daniel (voilà qu'il lui parlait à Daniel tandis qu'il l'écoutait en même temps raconter), mais plutôt à cause du lieutenant et de la perme supprimée, à cause aussi du fait qu'il parlait son père l'arabe couramment, qu'il servit à l'interrogatoire et à la gégène. Non, son père ne s'appelait pas Eugène comme dans Gégène.

Puis, et peut-être à partir de là, il n'eut plus envie de rien entendre sur son père et ces saloperies que lui, Daniel, lui racontait. Il comprit alors que le vieux n'avait pas eu tort de se taire, que la guerre n'était qu'une grosse saloperie, une gangrène et qu'il faut couper, amputer, avant qu'elle n'atteigne le coeur, la tête. Elle avait atteint les viscères, le vieux était mort d'un cancer, on avait coupé, mais c'était trop tard, 53 ans seulement qu'il avait et déjà c'était trop tard. La grosse saloperie l'avait emporté alors qu'il croyait y avoir échappé.

C'était tous ceux qu'il avait torturés qui le torturaient à leur tour, c'était le cauchemar qui revenait, c'était la guerre d'Algérie qui n'était pas fini, en tout cas pas pour le vieux qui n'avait pourtant que 53 ans et une grosse saloperie qui ne voulait pas passer. Je ne voudrais pas être à la place du chef Eugène dont j'imagine aisément les problèmes de conscience, écrivait encore Daniel Zimmermann dans son recueil de Nouvelles de la zone interdite d'où son père n'était jamais vraiment sorti vivant comme dans la Fausse évasion : Mais personne n'a jamais pu quitter la zone interdite.

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