mardi 26 avril 2016

L'aveu

Il avait dit ça: qu'il avait la peau dure, en parlant de lui son fils. Il ne savait plus à qui il l'avait dit ni quand ni pourquoi et encore moins comment il l'avait dit. Mais tout cela n'avait plus d'importance maintenant que son père était mort. Son père était mort mais cette phrase était plus que jamais vivante malgré toutes ces années qui étaient passées depuis. Il n'arrivait pas à l'oublier. Elle l'interrogeait, elle le taraudait jour et nuit, revenait à la charge quand il y pensait le moins. Trop de choses s'étaient passées. Il y avait souvent repensé mais sans cette phrase qui sonnait comme un aveu.

Il avait eu la peau dure cette nuit-là. C'était au beau milieu du lagon Calédonien. Sa bassine qui se tenait dans une grosse chambre à air de camion contenait une batterie qui alimentait la lampe de plongée. Il la tenait dans sa main gauche, la droite tenait un fusil harpon. Il y eut une secousse brutale. Puis il se retrouva plongé dans la plus totale obscurité. Sa bassine venait de se renversée. Puis cette masse d'un bleu sombre qui le frôla et qu'un faisceau lumineux vint éclairer: c'était un requin. Il l'avait épargné. Majestueux et magnanime. Une seconde secousse. Pareille à la précédente. Et c'était son père qui venait de le repousser contre le récif. Mais pourquoi sa bassine s'était retournée? C'était un accident. On aurait dit un accident.

Il avait eu la peau dure cette nuit-là et pas que cette nuit-là. Une autre où il dormait dans son lit, et qu'il était seul dans sa chambre qu'il partageait d'habitude avec son frère. Il n'avait pas eu de crise d'asthme depuis leur départ de Normandie pour la Nouvelle Calédonie, mais il se sentait étouffé. Il avait appris à ne pas lutter et ne lutta pas. Ralentit plutôt sa respiration pour échapper à la crise. Sentit et chercha à profiter du mince filet d'air qui lui arrivait. Fit tout cela dans un demi sommeil. Mais ce poids, mais cette oppression n'était pas à hauteur de la poitrine sinon pesait sur sa tête, c'était l'oreiller et il n'arrivait pas à s'en dégager. C'était comme s'il était resté coincé sous l'eau. C'était un accident. On aurait dit un accident. Et quand il refit surface, il était en nage, mais sain et sauf.

C'est qu'il avait la peau dure comme avait dit son père. Mais à quelle nuit se référait-il alors? Il n'était que de penser à cette nuit-là encore où ils repeignaient la barque. Et comme à chaque fois qu'ils étaient ensemble cela ne se passa pas bien. La barque avait toujours un peu d'eau croupie au fond et sentait le poisson pourri. On l'avait amenée près du garage où il y avait une prise de courant. Son père lui tendit le fil au bout duquel pendait une ampoule, pour qu'il l'éclaire tandis qu'il peignerait. Il resta le fil collé dans la main. Il ne pourrait dire combien de temps. Le temps qu'il fallait pour qu'il eut l'impression que le courant circulait de ses pieds jusqu'à sa tête, pour qu'il eut l'impression d'être en boule, de ne pas pouvoir se redresser, de ne pas pouvoir non plus retirer le fil de sa main, le temps qu'il fallut à son père pour arracher ce fil de sa main. C'était un accident. On aurait dit un accident.

Il s'arrêta à cette nuit-là. Oui, trop de choses s'étaient passées. Puis il réfléchit encore un peu avant de se décidé à commettre l'irréparable, car il avait compris que l'auteur n'était pas le commanditaire, que peut-être même il s'était au dernier moment soustrait à sa tâche; que l'auteur son père était mort tandis que le commanditaire sa mère était toujours vivante. Et c'est ce qu'il raconta à la police après qu'ils l'aient arrêté sans qu'il n'opposa de résistance et après qu'il eut tout avoué.

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